Gwendolyn Midlo Hall est décédée à Guanajuato, au Mexique, le 29 août 2022 à l’âge de 93 ans. Elle fut le mentor de nombreuses générations d’historiens de l’esclavage d’Afrique, d’Europe, des Amériques et des Caraïbes. Elle est l’auteure de Slavery and African Ethnicities in the Americas: Restoring the Links (University of North Carolina Press, 2005). Son premier livre, Social Control in Slave Plantation Societies: A Comparison of St. Domingue and Cuba, a été publié par Johns Hopkins University Press en 1971. Cette même année, elle avait rejoint l’Université Rutgers, où elle était professeure d’études latino-américaines et caribéennes. Avant son retour à La Nouvelle-Orléans, sa ville natale, elle a également enseigné à la Michigan State University, après avoir pris sa retraite de Rutgers.

Gwendolyn Midlo Hall est surtout connue pour son livre Africans in Colonial Louisiana: The Development of Afro-Creole culture in the Eighteenth century (1992). Il s’agit de la première œuvre historienne étudiant systématiquement la genèse de la culture afro-créole de Louisiane. Ce livre explore la constitution de la population africaine et sa contribution à l’édification du pays grâce à des savoir-faire pointus, notamment en matière de riziculture. Les phénomènes de résistance y occupent aussi une place considérable, et ce travail donne aux espaces de marronnage un rôle crucial dans l’émergence de la culture afro-créole. Jusque-là, cet aspect de l’histoire de la Louisiane était négligé par l’historiographie américaine à cause, selon G.M. Hall, de la barrière linguistique car l’essentiel de la documentation relative à ce pays est en français, et ce plusieurs décennies après le début de la période américaine en 1803. Dans son livre, l’auteure s’insurge énergiquement contre l’idée largement répandue selon laquelle la culture des États-Unis est une culture anglo-saxonne. On aurait tort de croire, soutient-elle, qu’il existait une culture ou une société toute puissante, implantée par les colons européens, dans laquelle les non-Européens, plus particulièrement les Africains, étaient assimilés (« Creolization was not the process of Africans melting into a European pot »). Gwendolyn Midlo Hall remet aussi en cause, concernant la Louisiane, l’idée selon laquelle les maîtres auraient réussi, ou même cherché à séparer systématiquement les Africains de la même ethnie. Les ethnies africaines et leurs cultures n’étaient pas aussi fragmentées par l’esclavage qu’on le croit. Pour cette raison, elle considérait comme une démarche essentielle le fait d’interroger l’histoire, la société et la culture des ethnies africaines représentées pour comprendre la culture afro-créole de Louisiane. Gwendolyn Midlo Hall a défriché un terrain immense et tracé des voies de recherche ouvrant la porte à de nombreux historiens à travers le monde : cette historienne majeure a contribué à révolutionner les études diasporiques. Entre autres distinctions, elle a été nommée, en 1994, « Humaniste de l’année » par la Louisiana Endowment for the Humanities. Le gouvernement français l’avait aussi honorée avec le titre de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres, pour sa contribution exceptionnelle à l’histoire de la Louisiane, une ancienne colonie française.

Gwendolyn Midlo Hall était née le 27 juin 1929 à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane. Son père, Herman Lazard Midlo, était un avocat des droits civiques et du travail. Le professeur Hall fut également une grande militante des droits civiques aux États-Unis. Son mari, Harry Haywood Hall, Afro-Américain, était un vétéran de la Grande Guerre puis un combattant dans les rangs des Brigades Internationales lors de la guerre civile espagnole et cofondateur à la fin des années 1950 du Parti communiste américain. Ses écrits, notamment le livre Negro Liberation (1949), tout comme des articles coécrits avec Gwen Midlo Hall dans Soul Book, dans la région de la baie de San Francisco au milieu des années 1960, avaient contribué à inspirer la création du Black Panther Party et d’autres mouvements de défense des Noirs. Cette lutte résolue contre le racisme, l’oppression et l’injustice avaient suscité leur harcèlement par le FBI et leur inscription sur une liste noire, synonyme de licenciements abusifs. Elle fut alors forcée de déménager avec ses deux jeunes enfants au Mexique de 1956 à 1964, période au cours de laquelle elle fit des études finalement couronnées par un doctorat en histoire, à l’Université du Michigan.

À partir de 1984, le professeur Hall a passé seize années laborieuses à examiner plusieurs milliers de documents coloniaux français et espagnols, notamment dans les palais de justice paroissiaux de la Louisiane et dans les archives de France et en Espagne. Plus couramment connue sous le nom de Louisiana Slave Database, sa base de données (Afro-Louisiana History and Genealogy, 1719-1820) a été construite à partir de ces documents originaux. Cette base de données a inspiré l’édification des Allées Gwendolyn Midlo Hall, un mémorial du musée de l’esclavage Whitney Plantation (Wallace, Louisiane), dédié aux milliers de personnes réduites en esclavage en Louisiane et clairement identifiés dans les archives. Ce mémorial est aussi un hommage à son œuvre historienne. Selon son vœu, ses cendres y seront enterrées. Après l’ouragan Katrina et ses ravages, elle avait déménagé à Guanajuato, au Mexique, pour vivre avec son fils, Haywood Hall, et sa famille. L’année dernière, elle a publié ses mémoires intitulés Haunted by Slavery: A Southern White Woman in the Freedom Struggle (2021), un livre où elle raconte une vie pleinement vécue. Gwendolyn Midlo Hall travaillait en ce moment fatidique sur un dernier livre intitulé Slavery, race mixture, and diversity in Louisiana, dont la publication est l’objet d’un accord avec Lousiana States University Press à Bâton Rouge. Il appartiendra à des collègues historiens, qu’elle a elle-même désignés, de terminer cet ouvrage auquel elle a consacré ses toutes dernières forces malgré la maladie.

Ibrahima Seck

Maître de conférence au département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop, directeur de recherche du Musée de l’esclavage Whitney Plantation en Louisiane

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