
Le CIRESC (USR 2002) et Mondes Américains (UMR 8168) sont heureux d’annoncer la soutenance de thèse de Mme Charlotte Grabli.
Thèse
“L’urbanité sonore : auditeurs, circulations musicales et imaginaires afro-atlantiques entre la cité de Léopoldville et Sophiatown de 1930 à 1960”
réalisée sous la direction de Mme Myriam Cottias, directrice de recherche au CNRS.
Membres du jury
- M. Mamadou Diouf, professeur à l’université de Columbia (rapporteur)
- M. Eloi Ficquet, maître de conférences à l’EHESS
- Mme Nancy Rose Hunt, professeure à l’université de Floride (rapporteure)
- Mme Maëline Le Lay, chargée de recherche au CNRS-IFRA-Nairobi
- M. Elikia M’Bokolo, professeur à la retraite de l’EHESS
- M. Didier Nativel, professeur à l’université Paris VII
Résumé
Cette thèse examine les rapports entre musique et politique dans l’espace de circulations musicales s’étendant entre Sophiatown, à Johannesburg, en Afrique du Sud, et la « cité indigène » de Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa), au Congo belge, de 1930 à 1960. L’étude envisage à la fois la fabrique musicale de ces quartiers ségrégués – l’usage des nouvelles technologies d’écoute, l’appropriation des styles afro-atlantiques, la profusion des fêtes et la vie des bars – et la formation de l’espace transcolonial de la musique congolaise moderne, mieux connue sous le nom de « rumba congolaise », à l’ère de la radio. Bien que souvent occulté, le développement précoce de l’industrie musicale sud-africaine joua un rôle important dans l’émergence et la mobilité des premières célébrités médiatiques congolaises qui parcouraient les routes transimpériales entre Léopoldville, Elisabethville (Lubumbashi), Nairobi et Johannesburg. Étudiés conjointement, l’ancrage et le déploiement de ce que nous appelons l’« urbanité sonore » permettent d’éclairer la place des célébrités et chansons transcoloniales dans l’imaginaire politique des auditeurs africains. Ces phénomènes témoignent également des nouvelles possibilités d’émancipation que l’économie des plaisirs offraient aux catégories les plus marginalisées de la ville coloniale, telles que les « femmes libres » et/ou membres des sociétés d’élégance. A la cité de Léopoldville, comme à Sophiatown, auditeurs, danseurs et musiciens contestaient la définition coloniale de l’urbanité alors que le gouvernement monopolisait la définition de « la ville », en même temps qu’il en conditionnait l’accès, symbolique et concret. Jusqu’au lendemain de l’Indépendance du Congo en 1960, la scène musicale de la cité s’établit comme le principal espace d’expression politique et d’affirmation de la place du Congo moderne dans l’Atlantique noir. L’étude considère ainsi la musique dans la continuité de l’écologie sonore de la ville afin d’« écrire le monde depuis une métropole africaine ». Il ne s’agit pas seulement de penser la musique en contexte, mais aussi comme contexte, en tant que paysage, en l’étendant au-delà de la performance pour inclure les différents jeux d’échelle qui façonnaient les mondes musicaux. Pour comprendre la dimension politique des échanges afro-atlantiques impliqués dans la création de la rumba congolaise – un style africain né de l’écoute des musiques afro-cubaines –, il importe de prendre en compte le contexte de globalisation des modes d’écoute et de l’ethnicité. A une époque où le nationalisme racialisé des États-Unis façonnait la compréhension du jazz, comment repenser l’opposition d’une « Afrique latine » à une « Afrique du jazz », dont les pôles respectifs se situeraient à Johannesburg et Léopoldville ? Cette thèse cherche à déconstruire ces représentations tout en observant la puissance d’agir de la musique noire – « sa réalité et son inexistence » – en fonction des contextes, des acteurs et des lieux.
Abstract
Sonic Urbanity : listeners, Musical Circulations and Afro-Atlantic Imaginaries between the Cité of Leopoldville and Sophiatown, from 1930 to 1960
This thesis studies connections between music and politics within the space of music circulation stretching from Sophiatown, in Johannesburg, South Africa, to the cité (the “native quarters”) of Léopoldville (today Kinshasa), in the Belgian Congo, from 1930 to 1960. This study considers the music making of these segregated areas – the uses of new sound technologies, the appropriation of Afro-Atlantic styles, the profusion of festivities and nightlife – as well as the formation of the trans-colonial space of modern Congolese music—better known as “Congolese rumba”—in the age of radio. Although often overlooked, the early development of the South African record industry played an important role in the making and mobility of the first Congolese media celebrities who circulated across the trans-imperial roads between Léopoldville, Elisabethville (Lubumbashi), Nairobi and Johannesburg. Studied together, the grounding and the deployment of what I call “sonic urbanity” highlight the place of trans-colonial celebrities and songs in the political imaginary of African listeners. These phenomena also show how the economy of pleasure offered new possibilities of emancipation to the most marginalized categories such as the “free women” and members of women’s fashion associations. Both in the cité of Léopoldville and in Sophiatown, listeners, dancers and musicians challenged ideas of black exclusion to urbanity enforced by the government that conditioned symbolic and material access to “the city”. Until the day after independence in 1960, the musical scene represented the main space for political expression in the modern Congo, allowing it to claim its place in the Black Atlantic. This thesis thus conceptualizes music as part of the city’s ecology of sound in an attempt to “write the world from the African metropolis”. It does not merely think of music in context but also regards it as context and soundscape, extending it beyond performance by including the different “scale games” that shaped musical worlds. Understanding the political dimension of the AfroAtlantic exchanges involved in the creation of Congolese rumba – an African style born out of listening to Afro-Cuban music – requires a consideration of the globalisation of ways of listening and ethnicity. How can we rethink the opposition of a “Latin Africa” to an “Africa of jazz”, whose poles would be located respectively in Léopoldville and Johannesburg, at the moment when U.S. racialized nationalism shaped understandings of jazz ? This thesis seeks to both deconstruct these representations and examine the power of black music to act—its “reality and non-existence”— depending on contexts, actors and places.
Date de l’événement : 21/10/2019, 14 h 30
Lieu : EHESS
54, bd Raspail
75006 PARIS
Salle AS1_08